des Joyaux d'Alésia

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Berger Allemand

Historique de la race

Le berger allemand : l'histoire par Centrale Canine

Publié 17/10/2022 à 09:07 - Mis à jour le 21/04/2023 à 14:14


L’histoire du berger allemand actuel débute vers la fin du XIXème siècle, marquée par l’émergence de la cynophilie dans plusieurs pays industrialisés, prenant la suite de la Grande-Bretagne.

Les Thuringe et les Würtemberg

En Allemagne, la première exposition canine est organisée à Hambourg en juillet 1863. En 1878, une association de chasseurs d’Hanovre, qui tenait un stud-book sur le modèle anglais, est rebaptisée Verein zur Veredelung der Hunderacen für Deutschland pour s’élargir à toutes les races présentes en Allemagne ; grâce à la participation d’autres clubs, un livre d’origines, le Deutsches Hunde-Stammbuch, est créé et une commission (Delegierte-Commission) consacrée à l’élaboration de standards.

Après des lustres de sélection purement utilitaire, les chiens de berger, qui avaient auparavant assez peu éveillé l’intérêt des élites sociales, se voient intégrés au concert cynophile naissant. Anglais et Français, notamment, entreprennent de distinguer plusieurs races bergères au sein d’un patrimoine ancestral procédant du morphotype peu spécialisé utile à la conduite des troupeaux où les chiens doivent cumuler agilité, rapidité et endurance, et plus globalement à la polyvalence rurale - une fonction annexe de protection pouvant leur être ajoutée en plaine où la pression prédatrice est la moins importante et ne nécessite pas de molosse dédié. En Allemagne, un souci d’unification va prévaloir, fondant le berger national dans un seul creuset.

D’autres variétés ayant pu subsister en dehors de la cynophilie allemande ont suscité beaucoup plus récemment l’intérêt d’exploitants agricoles et scientifiques, regroupées sous le terme Altdeusche Hütehunde : en 1989 a été créé l’AAH, Arbeitsgemeinschaft zur Zucht Altdeutscher Hütehunde (Groupe de travail pour l'élevage des vieux chiens de berger allemands), dans un but de préservation ; plusieurs variétés ont été identifiées, selon fonction (berger ou bouvier), région et type, et un livre généalogique ouvert.  

A la fin du XIXe siècle, à l’époque de la création du Deutsches Hunde-Stammbuch, on pouvait ainsi trouver en Allemagne des variétés bergères régionales pourvues de caractéristiques secondaires diverses. Dans les régions du centre, Thuringe et Franconie, les chiens sont le plus souvent dotés d’une construction assez légère et d’oreilles dressées, et d’un tempérament très vif ; ceux du Würtemberg, au sud, sont un peu plus grands et plus lourds. Anton Eiselen (von der Krone), de Langenau dans le Würtemberg, serait un des premiers éleveurs de l’ère cynophile à croiser les premiers avec les seconds. On rencontre par ailleurs différentes textures de poil.

Le peintre et auteur cynologique Ludwig Beckmann rapporte que compte tenu de ces disparités, « nous avons acquis la conviction qu’il était impossible de présenter une forme unique au ‘chien de berger allemand’ » (Geschichte und Beschreibung der Rassen des hundes, 1894).

Le standard que la Delegierte-Commission a arrêté en 1890 admet donc trois variétés de poil, court et lisse, dur, long ; les oreilles sont dressées, la taille en moyenne de 55 cm pour le mâle et 50 cm pour la femelle, les couleurs diverses (noir, gris, fauve, marqué de jaune ou de blanc), indique Beckmann.

Il note que le poil lisse est de loin le plus représenté aux expositions de Hanovre, Dortmund et Berlin en 1893 et 1894 ; selon lui, le poil dur se voit davantage à l’ouest, dans la région rhénane, et le poil long dans le centre-nord, dans la région de Brunswick.

Deux éleveurs de la fin du XIXe siècle sont cités, M. Wachstmuth à Hanau (près de Francfort), et Friedrich Spachwasser à Francfort, qui a obtenu ses premiers chiens chez le précédent. M. Schenkel (von Schweninngen), dont les chiens viennent aussi de chez Wachstmuth, obtient des succès en expositions. Parmi les éleveurs du début de l’ère cynophile on peut citer également le berger Sepp (vom Neckarspurung), Karl Reister (vom Goldsteintal), H. Krieger (von Schwaben), H. Weygandt (von Emstal).

En 1891, un premier club de race dédié au berger allemand, nommé Phylax (gardien en grec), a été créé à Berlin par quelques amateurs dont le capitaine Riechelmann, le comte von Hahn, E. Hartmann. Beckmann en est membre ; il préconise d’intéresser à la cynophilie, par l’intermédiaire des sociétés d’agriculture, les bergers qui utilisent ces chiens. Mais au sein de Phylax, des dissensions se font jour entre amateurs d’expositions et ceux qui sont attachés à la fonctionnalité, et le club se dissout en 1894.

La création du capitaine von Stephanitz

Entre alors en scène celui qu’on considère légitimement comme le père de la race, Max Emil Friedrich von Stephanitz (1864-1936).

Max von Stephanitz. James R. Engel, The police dog

Originaire de Dresde, comme beaucoup de membres de la noblesse foncière il a embrassé dans sa jeunesse une carrière militaire. Affecté à un régiment de Francfort, en 1898 il est promu capitaine de cavalerie ; la même année, il se marie et quitte l’armée. Une fois revenu à la vie civile, installé dans la propriété près de Grafrath (Bavière) qu’il avait acheté peu avant, il commence à s’intéresser de près au chien de berger allemand, qui va devenir l’œuvre de sa vie.

En 1899, il achète un chien de Thuringe, Hektor Linksrhein, né en 1895, à Anton Eiselen, après l’avoir vu en exposition ; il venait de chez Friedrich Sparwasser. Von Stephanitz le rebaptise Horand von Grafrath. Ce chien produira 53 portées et 149 sujets enregistrés ; c’est la racine de l’arbre généalogique du berger allemand moderne. Ses premiers descendants, appariés en consanguinité, vont beaucoup contribuer à en fixer le type.

En avril 1899, en marge d’une exposition à Karlsruhe, von Stephanitz, avec son ami Arthur Meyer et le journaliste Ernst von Otto, décident de créer un club de race, Verein für deutsche Schäferhunde (SV) ; il a son siège à Stuttgart où réside Meyer, puis à Munich après le décès de celui-ci. Max von Stephanitz est président du SV et le restera très longtemps, jusqu’en 1935. En 1899, le SV élabore un standard et organise sa première exposition à Francfort ; les vainqueurs (avec le titre de Sieger et Siegerin) sont le mâle Jörg von der Krone et la femelle Lisie von Schwenningen.

En 1899 il ouvre en outre un livre d’origine, le Zuchtbuch für deutsche Schäferhunde (SZ). Horand von Grafrath est le premier sujet inscrit ; le second est Mari von Krone, que von Stephanitz a rebaptisée Mari von Grafrath.

Pour von Stephanitz, les aptitudes fonctionnelles comptent avant tout, et doivent constituer la ligne directrice prioritaire de la sélection : « l'élevage de chien de berger est un élevage de chien de travail et doit toujours rester un élevage de chien de travail, sinon ce n'est plus une race de chien de berger allemand », écrit-il dans son ouvrage Der deutsche Schäferhund in Wort und Bild (1909, complété en 1921). A ce stade, les prescriptions du standard de 1899 sont encore relativement lâches ; les trois variétés de poil sont encore admises ; il est précisé que si l’oreille droite est préférable, l’oreille semi-dressée, comme celle du collie, est possible. Mais la liste des défauts permet de noter de quelles caractéristiques le cheptel doit être épuré selon le club : oreilles tombantes, crâne trop lourd, museau trop court ou trop pointu, queue enroulée, queue et oreilles taillées. Le standard sera révisé en 1901, 1909, 1930, 1961 (plus d’autres révisions plus récentes), façonnant la race telle que nous la connaissons.

C’est ainsi un chien de travail solide et polyvalent que von Stephanitz entend bâtir. Selon sa politique, le SV met en place des concours sur troupeaux, puis à partir de 1901 des épreuves de chiens de défense (ce qu’on va appeler le Schutzhund).

La 1ère guerre mondiale va mettre la race en première ligne, au sens propre et figuré du terme. Dans les années 1880, l’armée allemande testait des spitz comme chiens sentinelles, estaffettes et sanitaires, puis des bergers allemands mais aussi des colleys, Airedale terriers, caniches, chiens d’arrêt.

Avec le développement important du chien de guerre au sein de l’armée allemande, qui aborde le conflit avec un effectif canin de 6000 spécimens, le SV met en place un registre de bergers allemands mobilisables contenant plusieurs dizaines de milliers de sujets ; des chiens de particuliers sont réquisitionnés - après la guerre, nombre de bergers allemands se feront guides d’aveugles. La 1ère guerre mondiale a construit la réputation du berger allemand à l’étranger ; il commence après-guerre à s’exporter dans de nombreux pays et à être utilisés par leurs administrations.

Sous la férule de Max von Stephanitz, le Verein für deutsche Schäferhunde devient le plus puissant club de race canin du monde, passant de 60 membres en 1899 à 6000 en 1921, à plus de 40 000 en 1922. Quant aux chiffres du SZ, ils sont impressionnants : 9000 chiens sont inscrits au cours de ses 10 premières années ; et de 7000 inscriptions en 1909, on passe à  environ 26 000 en 1919-1920 ; pendant la guerre, la production a fléchi mais est repartie rapidement à la hausse. Parmi les éleveurs importants du début du XXe siècle, citons Friedrich Decker (von der KriminalPolizei) qui exporte son champion de 1910 Tell von der KriminalPolizei pour 10 000 marks aux USA, Gottfreid Hagmann-Kirchheim (von Hohen-Esp), J. Griesenbrauk-Rietberg (von Riedekenburg), Otto Geiger (von Boll), W. Speilmann (von Starkenburg), J. Agne (vom Kolhwald), Dr Poppe (von Uckermark), Gertrud Tiburtius (von Dusternbrock).

Une célébrité mondiale

Pendant la guerre et dans les années qui suivent, compte tenu du sentiment anti-allemand qui prévaut dans les autres pays belligérants, la race y est rebaptisée « berger d’Alsace ». En 1915, la Société Centrale Canine officialise l’appellation. Paul Mégnin, directeur du journal L’Éleveur et directeur adjoint du Service des Chiens de Guerre, écrit dans son livre de 1919 (Les chiens de France, soldats de la Grande Guerre) que les Allemands se sont indûment appropriés la race lorsqu’ils sont emparés en 1871 de l’Alsace-Lorraine.

Alors que l’on voit dans les années 1920 nombre de sujets trop grands dans l’élevage allemand, Von Stephanitz recentre la sélection vers une taille moyenne en couronnant Sieger 1925 le mâle Klodo von Boxberg, 60 cm au garrot, produit par l’éleveur Otto Dienemann (exporté ensuite aux USA). Il y a en outre des défauts de dentition et de caractère dus probablement à une consanguinité excessive. Le SV décide en 1922 que seuls les chiens possédant un titre de travail pourront obtenir le titre de Sieger (la mesure est ensuite étendue au qualificatif Excellent), crée un registre d’élevage (le Körbuch) où sont inscrits les chiens jugés aptes à la reproduction à l’issue d’un examen (la Körung), puis met en place différentes qualifications ; le tout visant à la fois à accroître la qualité d’ensemble du cheptel et à élargir la base génétique pour éviter une focalisation excessive sur les seuls étalons champions.

Avec les années 1930, la crise économique fait baisser le nombre de bergers allemands produits dans le pays ainsi que les exportations, et de membres du SV. A l’avènement au pouvoir d’Hitler, tous clubs et sociétés canins sont obligatoirement assujettis à la Reichsverband deutscher Kleintierzüchter (Association nationale des éleveurs de petits animaux).

Lorsque la 2e guerre mondiale éclate, de nombreux sujets sont incorporés dans l’armée allemande ; le milieu de l’élevage s’alarme de réquisititions excessives, craignant que le cheptel ne s’en relève pas ; l’armée accepte alors que les sujets titrés restent aux mains de leurs producteurs et propriétaires. Hitler a possédé plusieurs bergers allemands ; le dernier est sa chienne Blondi ; en 1945, craignant d’être capturé vivant et voulant s’assurer que ses capsules de cyanure sont efficaces - dans sa paranoïa il s’est imaginé que Himmler lui a fait parvenir de fausses capsules -, il en fait administrer à Blondi, qui en meurt.

Après guerre, la production se remet rapidement sur orbite haute. Parmi les éleveurs influents d’après-guerre, citons Hans Dettmer (vom Osnabrücker Land), Heinz Röper (zu den Sieben-Falen), Walter Martin (von der Wienerau), et quelques autres grands noms de l’élevage allemand au XXe siècle, Hermann Martin (von Arminius), président du SV de 1982 à 1994, Dr Ernst Beck (von Haus Beck), Albert Platz (von Adeloga), Gerd Reims (von Khaler Heide), Heinz Reininger (von der Römerau), Theodor Lugbauer (vom Noricum). A la suite de la partition de l’Allemagne de part et d’autre du Rideau de Fer, la sélection de la RDA et celle de la RFA (où les éleveurs commencent à remodeler la silhouette vers un dos incliné et des angulations arrières plus marquées), se séparent ; elle se mixeront à nouveau avec la réunification du pays. Le SV compte à son apogée plus de 100 000 membres, une revue mensuelle tirant à 75 000 exemplaires, plus de 2000 chiens présentés à son championnat annuel, d’où sortent des sujets d’élite qui atteignent pour certains des sommes très élevées ; et depuis ses débuts, ce sont plus de deux millions de bergers allemands qu’il aura enregistrés dans son livre d’origines.

En 1968, la European Union of German Shepherd Associations est créée par la RFA, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Italie, l’Autriche, la Suisse et la Tchécoslovaquie ; elle s’étend en 1974 pour devenir la Welt-Union Verein für deutsche Schäferhunde (WUSV), Union mondiale des associations du chien de berger allemand, comptant de nos jours 95 associations membres dans 88 pays ; son siège est à Augsburg, où se trouve aussi celui du SV. Les dernières révisions du standard ont été faites sous son approbation.

Dans le public et les médias, la race a parfois été surnommée « chien-loup », et même dans le milieu cynophile elle a été parfois appelée, après la 1ère guerre mondiale, « chien-loup d’Alsace ». Des rumeurs selon lesquelles il y aurait eu des loups dans sa genèse sont d’ailleurs apparues tôt. Von Stephanitz rapporte dans son livre précité que Mores Pleiningen, chienne de troupeau du Würtemberg à qui Horand von Grafrath a été accouplé, était réputée avoir un loup pour grand-père ou arrière-grand père, mais ce dont von Stephanitz lui-même s’est mis ensuite à douter. L’hypothèse de l’apport du loup, d’autres cynologues et auteurs y ont cru, avant d’être repoussée au motif prinicipal que cela n’aurait pu constituer aucun avantage (et même tout au contraire lorsqu’il s’agissait encore du troupeau), pour la sélection utilitaire. En revanche, c’est bien en croisant des loups et des bergers allemands que les races récentes Chien-loup de Saarloos et Chien-Loup tchécoslovaque ont été formées.

Dans la deuxième moitié du XXe siècle, le berger allemand figure dans de nombreux pays cynophiles parmi les races les plus répandues. Le cinéma a certainement joué un rôle dans la construction de son exceptionnelle notoriété (voir encadré Complément d’enquête). Il y a sans doute peu de gens qui même en ignorant le monde du chien, ne connaissent pas son nom ou ne soient pas capables de le reconnaître. Si le berger allemand a dû se résoudre à partager dans une plus grande mesure qu’avant les faveurs des amateurs de chiens, il est resté une célébrité internationale.